Résumé : Le langage est habituellement considéré comme un instrument de communication et ainsi réduit à un rôle secondaire : ceci mène à une impasse. Les faits de langage ne peuvent pas être assimilés à des faits de sciences naturelles : ce sont des faits d'entente et de compréhension mutuelles, naissant dans la rencontre de deux êtres humains au moins, différents l'un de l'autre, participant à un monde commun. Les faits psychiques impliquent nécessairement le langage et sont eux aussi des faits d'entente mutuelle. La constitution de la clinique repose sur ces faits de compréhension primordiale et originaire : elle ne peut être réduite à la collection et à l'organisation de faits de sciences naturelles. La distinction entre ces deux catégories de faits met en présence permanente deux modes de penser antinomiques conjoints dans une union polémique et paradoxale, qui doit être reconnue et endurée par tout homme s'il veut échapper à la misère d'une existence déficiente : c'est alors seulement que l'on peut entrevoir toute intervention psychothérapeutique authentique.
Introduction
Notre intérêt pour les problèmes de langage s'est éveillé lors de nos premières expériences de consultation psychiatrique avec les enfants et les adultes dans le Jura en 1955, alors qu'aucun psychiatre, ni psychologue n'était établi dans cette région. Nous avions été frappés par le nombre important de malades dont les formes d'expression verbale nous surprenaient, les unes nous paraissant inhabituelles, curieuses tout en restant parfaitement compréhensibles, les autres, altérées ou perturbées, pouvant aller jusqu'à compromettre notre compréhension mutuelle. Ces phénomènes ne doivent pas être, à notre avis, considérés en clinique comme accessoires ou secondaires, bien qu'ils y restent souvent inaperçus : en effet, toute activité psychiatrique, qu'elle soit exploration ou thérapeutique, est nécessairement mise en jeu de la parole, "à moitié à celui qui parle, à moitié à celui qui l'écoute" (Montaigne) ; elle est constamment partagée dans l'harmonie et le rythme d'un monde commun qui naît dans la rencontre du malade et du psychiatre, monde dans lequel ils s'accordent et s'entendent dans une unité "parlante". La parole, dans la totalité de ses aspects sonores, est bien autre chose que seulement moyen des sens et des significations qu'elle révèle et transmet. En se faisant, elle donne lieu à une symptomatologie particulière de sa forme comme "trouble du langage", et de son contenu qui s'y comprend et s'y thématise comme "trouble psychique" : plaintes et souffrances morales sous-tendues d'angoisse qu'exprime le malade sur le mal qu'il ressent dans l'humeur d'une certaine atmosphère, mais aussi autres contenus psychiques, que ceux qui vivent avec le malade considèrent comme pathologiques, idées délirantes, interprétations étranges, hallucinations, etc...
C'est pourquoi, dans l'organisation de la psychiatrie ambulatoire de la partie francophone du Canton de Berne d'alors, à laquelle nous avions été amenés [1] avec les autorités cantonales et qui avait abouti à la création en 1960 du Service médico-psychologique du Jura [2], nous devions mettre le problème du langage au premier plan de nos préoccupations.
En effet, d'une part, le nombre d'enfants vus en consultation et présentant des troubles du langage menaçant leur intégration scolaire prenait des proportions inattendues. D'autre part, la structure à donner à la nouvelle institution officielle impliquait de prendre certaines options quant à la nature des traitements biologiques et psychologiques pouvant être retenus parmi la masse déjà imposante des méthodes psychologiques proposées alors, plus ou moins scientifiquement fondées, en regard du type de problèmes que nous rencontrions dans notre région. La découverte des neuroleptiques ne remontait qu'à quelques années (1952) : ces nouveaux médicaments étaient en train de modifier de fond en comble la structure des soins psychiatriques et ils permettaient d'envisager le traitement ambulatoire des troubles psychiques graves qui précédemment devaient être hospitalisés en hôpital psychiatrique. Kuhn venait de mettre en évidence l'activité antidépressive d'une nouvelle substance, à l'origine des traitements antidépresseurs actuels (1957), devenus ambulatoires, eux aussi, dans une très grande majorité des cas ; nous pouvions dès lors envisager de traiter biologiquement les dépressions spécifiques de l'enfant [3] et de l'adolescent, état fréquent bien que beaucoup trop rarement diagnostiqué ; jusque-là les enfants ne pouvaient bénéficier que de traitements psychothérapeutiques souvent très longs, coûteux, donc limités, et dont le succès reste souvent problématique. De ce fait, le rôle et la place de l'expression verbale en clinique psychiatrique, partie toujours intégrante de tout traitement psychiatrique, quel qu'il soit, étaient totalement modifiés et devaient être envisagés sous un angle différent. La place essentielle et primordiale de la parole dans la formation de la vie mentale devait d'ailleurs nous apparaître avec encore plus d'évidence lors d'un examen plus précis des troubles du langage, qui se sont révélés être souvent en relation avec des états dépressifs fondamentaux.
C'est dire que notre intérêt pour le langage en clinique psychiatrique n'était pas guidé par des considérations abstraites et théoriques : il est resté fermement ancré dans notre pratique quotidienne concrète. Nous avons ainsi été poussés à une observation de plus en plus minutieuse, fine et différenciée des phénomènes de langage en clinique psychiatrique de l'enfant et de l'adulte. Ceci nous a conduit à une modification radicale de la conception habituelle que l'on se fait du langage comme "instrument de communication", et à une remise en cause des points de vue courants quant à la nature de l'implication du langage en clinique psychiatrique, notamment en psychothérapie. Il en est résulté une transformation de notre approche concrète et critique des troubles du langage, de leur traitement [4], mais aussi une modification de notre manière de comprendre le processus psychothérapeutique. Il s'agit de questions scientifiques entièrement ouvertes à la réflexion et à la recherche clinique : notre démarche, qui se poursuit actuellement, s'est révélée particulièrement difficile et périlleuse, pour les deux raisons principales suivantes :
1. Au cours de son développement, la psychiatrie a abandonné très tôt le problème du langage et de ses troubles aux spécialistes des troubles de l'audition et de la phonation, à la neurologie du cerveau, puis à la neuropsychologie, pour des motifs d'autant plus obscurs et incompréhensibles que sa constitution-même et son activité tant clinique que scientifique est une question de langage. Aussi, le psychiatre n'entend-il pas beaucoup parler du langage et de ses troubles pendant sa formation : il n'y est pas éveillé. Mais il y a plus : le langage n'étant plus considéré dans la totalité indissoluble qu'il forme avec la vie psychique, il en vient à n'être plus compris que comme un instrument indépendant d'elle : son étude est alors envisagée d'une manière mécanique se fondant dans l'anatomo-physiologie, en tant que "appareil du langage", concept abstrait et théorique. La psychanalyse elle-même ne s'était plus occupée du langage qu'accessoirement depuis que Freud avait éliminé ses "Études sur l'Aphasie" de 1891 de ses œuvres psychanalytiques. Cet écrit n'a plus reparu en allemand et il n'a paru en traduction française qu'en 1983. Pourtant, Freud ne peut éviter de reprendre, sans la modifier dans son essence, la théorie du langage qu'il formulait au sujet de l'aphasie dans plusieurs de ses écrits psychanalytiques importants et jusqu'à la fin de sa vie. Cette théorie a été radicalement critiquée et contestée dès le début par Bergson [5], puis Goldstein [6] et d'autres [7]. Pourquoi la psychiatrie évite-t-elle de réfléchir sur le fond du problème clinique du langage ? Voilà une question qui n'est actuellement pas discutée.
2. Sans connaissance scientifique spécifique sur le langage, ni formation philosophique critique permettant d'aborder ces problèmes d'une manière rigoureuse, nous avions l'avantage de ne pas avoir de présupposés théoriques définis à ce sujet et de devoir rester entièrement dans le concret de l'observation "au plus près des choses" (Husserl [8] ). Nous fûmes cependant d'emblée confrontés aux théories et aux faits venant de sciences voisines, la linguistique, la phonétique, la neuropsychologie, l'audio-phonologie et d'autres. C'eût été manque de rigueur que d'appliquer sans autre à la clinique des concepts forgés dans une expérience et une réflexion ne s'appuyant sur aucune référence psychiatrique clinique fondée dans le vécu et la rencontre avec l'autre. En nous défendant de tout empiètement de ces sciences dans notre activité et de toute allégeance à leurs positions théoriques, il fut possible d'établir certaines relations critiques entre nos observations et les faits que ces sciences pensaient avoir établis. Ce fut une remise en cause permanente et quotidienne de notre manière de travailler et le début d'un cheminement original avec chacun de nos malades, ouvrant sur sa spontanéité et sa singularité, allant de pair avec l'acquisition progressive pour nous d'une disponibilité de tout instant à la surprise et à l'étonnement dans ce que nous entendons et comprenons soudain avec lui; ceci impose de dépasser progressivement des positions théoriques préconçues et implicites et de renoncer à des modèles préétablis ou à des méthodes dictées par telle école: c'est dans cette perspective de liberté et de respect que se manifeste alors un changement psychothérapeutique véritable.
La parole représentée
Quiconque parle est forcément conscient qu'il parle ; s'il parle de la parole et du langage, il s'en fait nécessairement une représentation et s'en forme une conception, la plupart du temps inexprimée ; cette conception appelle certains présupposés sur les troubles du langage et la manière de les amender. Cette disposition de l'esprit faite d'évidences non conscientes complique l'étude rigoureuse des phénomènes langagiers dans leur authenticité et pose un problème de fond.
Cette conception du langage s'explicite et est mise en œuvre quand nous réfléchissons, quand nous dépouillons un protocole, quand nous cherchons à expliquer à l'autre ce que nous avons observé et elle apparaît dans les termes que nous employons pour le faire. Mais cette conception reste inapparente et inaperçue dans bien d'autres situations, notamment quand nous sommes engagés dans une activité créatrice avec l'autre. En revanche, quand nous sommes dans une activité langagière, même spontanée, nous pouvons parfaitement ressentir cet instant où nous glissons d'un état d'esprit à l'autre, de l'état d'inconscience de la langue à sa conscience, dès que nous sommes arrêtés par une hésitation, une difficulté de compréhension ou un autre phénomène, par exemple une faute de prononciation, de vocabulaire ou de syntaxe chez notre interlocuteur. On peut ressentir le heurt de ce mouvement (cet ébranlement) également en consultation, à divers moments de l'examen. Mais le langage n'est pas le seul à présenter cette particularité : dès que l'homme ressent son corps ou qu'il y pense, il se le représente, comme il se représente le monde dans lequel il vit. Cependant, pour qu'il puisse se faire une théorie du langage, il faut qu'il entretienne un certain rapport avec lui, c'est-à-dire qu'il puisse se représenter le langage en tant que langage, comme "objet". C'est d'ailleurs ce qu'il a appris à faire à l'école, en apprenant les lettres, puis la grammaire. L'ennui pour nous, en clinique, dans cette représentation-là du langage, c'est qu'il n'y a pas de case libre pour la "faute du langage", le signe d'un trouble de langage. La grammaire antique le dit bien, et son message n'a pas changé depuis deux mille ans : ces accidents de la phonation "quae demonstrari scripto non possunt" sont des "inenarrabiles soni" et des «vitia oris et linguae"; ces accidents de la phonation sont des sons qui n'ont pas de nom et qui sont refusés par les "oreilles instruites".Alors que la seule caractéristique objective de ces phénomènes sonores insaisissables, confus, est la négation de leur capacité à être transcrits et décrits, ils revêtent la propriété sensible fondamentale de distinguer l'identité de personnes d'ethnies différentes et de les reconnaître ! Les notions de "barbarisme" et de "solécisme" expriment bien ce dilemme. C'est admettre que la grammaire, la théorie de la langue, échoue devant certains phénomènes primordiaux de l'expression. C'est un bel exemple de l'impasse dans laquelle nous mène une théorisation du langage [9].
Cette grammaire sait d'ailleurs aussi, dès qu'elle se constitue au cours de la période hellénistique, que ces troubles sont en relation avec la bouche et les mouvements qui se passent à ce niveau : il est frappant de voir que très tôt, elle les interprète comme des troubles mécaniques d'un corps considéré comme un automate, un corps mort, qui tient sa vie d'une intervention venant de l'extérieur de lui. Cette grammaire peut prendre une figure inquiétante ; une allégorie du Ve siècle [10], qui a dominé tout le Moyen Âge au point qu'on en trouve l'illustration jusque dans les sculptures des porches de nos cathédrales [11], nous le montre bien. Je traduis et résume :
"Mercure bien fatigué d'avoir tant voyagé pour les Dieux, a décidé de se marier et après de nombreuses hésitations a choisi la Philologie, dame très instruite. Il va maintenant s'efforcer de bien parler. Au repas de noces sont invités entre autres les sept arts libéraux : chacun d'eux va prendre la parole. Le premier sera la Grammaire. Elle s'avança sous les traits d'une vieille dame pleine de charme, revêtue pour la circonstance d'une toge romaine, et dont on disait qu'elle était née à Memphis, où Mercure, sous les traits du Dieu égyptien Thoth, avait inventé les lettres et les nombres. Elle portait dans ses mains un coffret poli, une belle pièce d'ébénisterie incrustée d'ivoire, de laquelle elle sortit, comme un médecin habile, les emblèmes des blessures qui devaient être soignées. Elle prit d'abord dans la boîte un bistouri orné d'un point brillant, avec lequel elle dit qu'elle pouvait élaguer les fautes de prononciation chez les enfants ; ceux-ci pourraient ensuite retrouver la santé grâce à une certaine poudre noire (de l'encre) contenue dans des roseaux, une poudre faite probablement de cendre ou d'encre de seiche. Elle prit ensuite une médecine très piquante qu'elle avait fabriquée avec de la fleur de fenouil et la tonte d'une chèvre, une médecine d'un rouge pur, dont elle disait qu'elle pouvait être appliquée sur la gorge lorsqu'elle souffre d'une ignorance bucolique et lorsqu'elle expire l'air abject d'une prononciation corrompue. Elle montra encore une essence délicieuse de sarriette, produit d'un travail de longues nuits et de veilles, dont elle dit qu'elle rendait mélodieuse la voix la plus déplaisante par sa dureté et sa rudesse. Elle nettoyait aussi les bronches et les poumons par l'application d'une médecine faite de cire noircie sur bois de hêtre et d'un mélange de noix de galle et de colle, ainsi que des rouleaux fabriqués avec des plantes du Nil (papyrus). Ce cataplasme était efficace également pour stimuler la mémoire et l'attention, parce que, par sa nature, il réveillait les gens. Elle tira ensuite de son coffret une lime très finement ouvragée, divisée en huit parties, tout en or, reliées entre elles de différentes manières, avec laquelle, dans un mouvement bienveillant d'avant en arrière, elle nettoyait progressivement les dents sales et les troubles de la langue et tous les immondices (obscénités) ramassés dans la ville de Soles." La Grammaire poursuit ensuite un long discours de plus de 40 pages sur la manière d'enseigner successivement le nom, les différentes classes de choses et leur nom respectif, pour que ses élèves ne confondent pas un nom avec l'autre, etc...
Cette conception des choses est restée immuable : mais elle a perdu aujourd'hui son charme allégorique. On continue d'employer des instruments pour corriger les positions et les déplacements de la langue dans la bouche et le guide-langue est encore vendu comme équipement de l'orthophoniste : la chirurgie moderne opère la langue de certains malades parce qu'ils parlent mal et corrige la bouche parce qu'elle ne correspond pas aux chablons de l'esthétique du temps et de l'ethnie, sur un fond à peine dissimulé de purification. Tout ceci au nom de l'orthoépie. Il est impérieux de ne jamais oublier ce point de vue d'un ressenti esthétique fondamental, extrêmement puissant lorsque l'on s'occupe de problèmes de langage, même sur le plan purement théorique, et d'autant plus qu'il est souvent dénié par les scientifiques : cette aesthésis est rendue inaccessible par leurs explications théoriques et mécanistes. Pour le grec d'il y a 2500 ans, celui qui parle mal est un barbare et celui qui ne parle pas le grec ne pousse que des cris d'oiseaux.
Nous avons essayé de faire le point de la situation de ces problèmes complexes dans la "Parole troublée" et de montrer un certain chemin de réflexion par un aperçu sur l'histoire de la grammaire et de la faute. Il faut maintenant toucher deux thèmes fondamentaux, objet de notre préoccupation ; ils portent sur une question de fond, celui de la constitution de la clinique du langage et de la clinique psychiatrique tout court, qui débouche sur une interrogation quant à la nature de ce qui se passe au niveau de la parole et du langage quand nous parlons avec un malade, que ce soit en consultation, en psychanalyse, en psychothérapie (terme plein de mystère) ou en "rééducation du langage" (terme que nous avons banni de notre vocabulaire sans avoir encore pu lui trouver un substitut plus approprié à notre travail). Ce dernier point n'est pas mûr pour être abordé d'une manière explicite.
Constitution de la clinique
Cette question de fond semble s'articuler autour de deux axes :
1. la récolte des faits de langage
2. le rapport que nous entretenons avec ces faits dans, avec et par la langue.
Comment récolter des faits psychiques et des faits de langage, puis les regrouper de manière à pouvoir constituer une véritable clinique psychiatrique, comprenant les faits de langage, ou, plus justement parlant, en tenant compte du fait que ces faits psychiques sont toujours imbriqués dans l'expression verbale ?
Une question analogue s'est posée au début de la civilisation occidentale lors de la constitution de la médecine, avec l'apparition de la réflexion philosophique, qui est en même temps la naissance de l'esprit scientifique et des sciences de la nature. Deux points de vue se sont alors faits jour, l'un consistant en une observation immédiate et empirique, l'autre une théorie, un postulat préalable à cette observation.
"Tous ceux qui, ayant entrepris de traiter de la médecine...se sont donnés comme fondement à leur thèse un postulat (quel qu'il soit) commettent des erreurs manifestes...mais sont surtout blâmables, parce que ces erreurs portent sur un art qui existe"...sans hypothèse.
C'est ainsi que débute le premier livre de la "Collection hippocratique, intitulé "De l'ancienne médecine"(Hippocrate [12], I,1). Et plus loin, l'auteur s’explique :
"...J'ai estimé que la médecine n'a pas besoin d'innover en posant des postulats, comme il est nécessaire de le faire si l'on veut dire quelque chose au sujet des choses invisibles ou douteuses...et pour les choses qui sont au ciel ou sous la terre...Mais en procédant ainsi", (c’est-à-dire en faisant des postulats, des hypothèses) ...personne..."ne verrait clairement s'il est dans le vrai ou non, car il n'y a pas de critère auquel on puisse se référer pour avoir une connaissance exacte." (l.c., I,3)
Hippocrate fait ici d'emblée une distinction entre des " faits de médecine" et des " faits des sciences naturelles".
"Au contraire, la médecine est en possession de tous ses moyens." (l.c., II,1)..."Et par dessus tout, il me semble que l'on doit, quand on traite de cet art, exposer des choses qui soient concevables par des profanes. Car l'objet qu'il convient de rechercher et d'exposer n'est autre que les affections dont ces gens-là sont atteints et dont ils souffrent...En revanche, si l'on passe à côté de la faculté de compréhension des profanes et si on ne met pas les gens qui écoutent dans cette disposition d'esprit (c’est-à-dire : de s'entendre et de se comprendre), on passera à côté de la réalité (l.c., II,3)...."Les tâches du médecin sont bien plus diversifiées et requièrent une exactitude bien plus grande. Il faut donc chercher une mesure ; or il n'y a pas de mesure - ni nombre, ni poids - à quoi l'on puisse se référer pour connaître ce qui est exact, si ce n'est la sensation du corps (τoØ σéματoς τ¬v αÇσθησιv)" (l.c.,IX,3).n
Ainsi de "L'Ancienne médecine" et de son mode de penser.
Quand on veut s'occuper des affections dont les gens souffrent, il est indispensable de s’entendre et de se comprendre avec eux pour accéder à la réalité de leur mal ; et ce "comprendre", cet "entendre" n'est pas de l’ordre de la mesure comme dans les sciences naturelles : il est de l’ordre du ressentir du corps vivant.
Mais, ressentir de qui, et du corps de qui s'agit-il ? du malade ou du médecin ? Question ambiguë qui reste l'objet de vives controverses. La recherche phénoménologique psychiatrique y cherche une issue en mettant en évidence cette qualité particulière du rapport de participation du malade, du médecin et de la maladie ensemble au monde et dans un monde, à une totalité articulée. Dans une telle totalité, on ne peut plus considérer la présence d'un sujet isolé des autres dans un monde spatio-temporel objectif, donné d'avance et indépendant des sujets et des objets qui pourraient s'y trouver. La participation originaire est ignorante d'un sujet séparé de son objet.
Hippocrate certes, avait ses concepts et ses théories; ils ne sont pas dénués d'intérêt et lui ont servi de repère pour structurer ses investigations, mais son tour de force a été de constituer une médecine indépendante de toute hypothèse et de toute philosophie, en séparant clairement ses descriptions des explications causales ou génétiques quelles qu'elles soient: considérant chaque malade comme cas particulier, avec son nom et son lieu, le comparant à d'autres, Hippocrate donne à ses observations un caractère inachevé, ouvert et singulier, toujours susceptible d'une nouvelle interprétation; elles forment chacune un tout cohérent et ce n'est pas la moindre des choses que de pouvoir, comme médecin, reconnaître aujourd'hui dans ses descriptions, de quelle maladie il s'agît, de pouvoir poser un diagnostic précis et gardant toute sa valeur scientifique chez un malade ayant vécu il y a plus de deux millénaires !
L'autre mode de penser, celui de la nouvelle médecine, c'est, dit Hippocrate,
"...la théorie de ceux qui adoptent une nouvelle méthode dans leurs recherches sur l'art en partant d'un postulat"... (l.c., XIII,1) et qui disent que "...c'est ce savoir (formation théorique) que doit parfaitement acquérir celui qui a l'intention de soigner correctement les hommes. Et le discours de ces gens-là va dans le sens de la philosophie" (l.c., XX,1)..."Mais moi j'estime que tout ce qui a été dit ou écrit sur la nature par tel savant ou tel médecin a moins de rapport avec l'art de la médecine qu'avec l'art de la peinture ( et l'on sait le peu d'estime que les scientifiques de l'époque accordaient à la peinture ) , et j'estime que pour avoir quelque connaissance de la nature (de l'homme), il n'est d'autre source que la médecine ( c'est-à-dire le ressentir d'un corps vivant ). Et cette connaissance, il est possible de l'acquérir parfaitement quand on embrasse la médecine elle-même correctement dans sa totalité...je veux dire cette enquête ( ÂστoρÆηv) qui consiste à savoir ce qu'est l'homme, les causes de sa formation et tout le reste..."(l.c., XX,2). Autrement dit, la connaissance de la nature humaine, l'anthropologie, n'est possible que par l'expérience que fait le médecin, de l'homme ressentant et endurant "...ce qui arrive(ra) à chacun à la suite de chaque chose" (l.c. XX,3)...et non par la connaissance logique préalable d'une cosmologie, des sciences naturelles.
Ainsi, l'objet de l'ancienne médecine se maintient à la portée de l'homme, puisque le savoir médical est ce que ressent le malade et que ressent et comprend le médecin avec le malade, alors que l'objet de la médecine philosophique est hors de portée de l'homme, parce que son savoir est hypothétique, fondé sur une cosmologie, étranger à l'art de la médecine.
On peut transposer sans difficulté ces propos à la médecine de la parole, à une différence près, c'est que les phénomènes de parole se passent dans le monde sonore, qu'ils sont fugitifs, éphémères et uniques, c'est-à-dire qu'ils ne se produisent qu'une fois et sont toujours différents. Le monde sonore est englobant et donne à la participation une qualité de prégnance toute spéciale, mais nous n'aborderons pas ce problème ici.
Tout ceci fait que, en ce qui nous concerne, la récolte des faits de langage ("Ce que dit le malade") se complique considérablement : ce facteur n'est pas, à notre avis, suffisamment pris en compte dans la constitution de la clinique psychiatrique.
Nous avons montré combien il est hasardeux et délicat de considérer ce que l'on rapporte au sujet du malade comme étant "ce que le malade a dit" au titre d'une observation exacte et vraie [13]. En réalité, ce n'est pas ce que le malade a dit, mais ce qui résulte de notre entente avec le malade, c'est-à-dire ce que nous avons gardé en mémoire du résultat de notre rencontre et de notre entretien avec lui. Encore faudrait-il préciser le degré de liberté qu'a revêtu cet entretien. Ce que nous rapportons était-il une réponse à une question et à quel genre de question ? Question où le malade se sent totalement libre ? Question sous-tendue de présupposés et de préalables induisant certaines réponses ? Question suivant le chemin de réflexion dans lequel celui qui la pose s'engage pour l'élaboration d'une compréhension logique et scientifique du cas, comme bien souvent dans une consultation médicale ou quand on "prend" une anamnèse ? Mais aussi ce questionnement pourrait-il être le fruit d'une attitude d'attention ouverte en s'abandonnant à l'écoute ne pouvant être indifférente à ce que dit spontanément le malade et capable de s'abstenir - entièrement ou non - d'une certaine position théorique ? Freud [14] semble en douter :
"...notre science comporte quelques hypothèses qui - on ne sait s'il faut les attribuer aux présupposés ou aux résultats de notre travail..."
Or, il est difficile, voire impossible de se souvenir du contexte de la question que l'on a posée et de ses préalables, ni de la manière dont l'entretien s'est engagé et poursuivi, ni des attitudes qui formèrent le fond sur lequel il se déroula.Ces remarques suffisent pour faire comprendre que la constitution de faits psychiatriques et de langage n’est pas de même nature que la constitution de faits ayant trait aux sciences naturelles, objectivement mesurables.
Distinction entre les faits naturels et les faits de compréhension
Ceci nous amène à expliciter davantage la distinction absolument essentielle et fondamentale déjà faite par Hippocrate, en l’étendant aux faits psychiques : la récolte des faits de langage, comme celle des faits psychiques, c'est la récolte de faits de compréhension, faits venant d'une entente mutuelle s'enracinant dans le ressentir ("Tatsachen der Verständigung", dit Hönigswald [15]) ; ce n'est pas la récolte de faits naturels. Les phénomènes et les faits psychiques sont inhérents à la rencontre de deux êtres au moins, d'essence différente, se surprenant dans une expérience mutuelle d'un "entendre - comprendre originaire" et qui s'y expliquent. Cette expérience de participation se fait dans un temps de présence. C'est dans l'accomplissement de cette expérience que les phénomènes prennent sens. Ces phénomènes originaires échappent à toute emprise objective et scientifique. Ils ne sont pas donnés d’avance ; ils sont inopinés et étonnants. Ils ne deviennent faits que lorsqu'ils sont achevés et peuvent se situer dans un passé accompli. Fixés dans un sens, ils sont alors traités comme des données des sciences naturelles, des faits naturels. L'ignorance d'une telle distinction donne lieu à des confusions et à des erreurs de pensée menant à des impasses graves. Notons que ces erreurs se multiplient aujourd'hui massivement par l'irruption du langage informatique et des sciences dites de la communication dans la psychiatrie, qui cherche à donner à celle-ci une structure de plus en plus formalisée. Or, les phénomènes ne peuvent garder leur sens et prendre le caractère de faits qu'en maintenant leur racine dans la situation originaire de compréhension. Il faut s'en rappeler notamment quand on réfléchit sur le langage : il s'articule dans une langue que nous avons, en effet, de plus en plus tendance à ne voir que comme une structure de significations données en dehors de nous, autrement dit de considérer la langue comme un objet de science naturelle, un code. Or, il n'y a pas de parole objective ou objectivable, en dehors de la situation originaire du comprendre, de l'entendre et de l'être au monde avec les autres. La parole n'est pas réductible à un appareil anatomo-physiologique qui s'offrirait à des significations venues d'ailleurs et sans rapport interne avec lui. La parole est cooriginaire de l'existence humaine, prise dans son sens non trivial. La parole ne peut être prise comme parole que dans la mesure où elle est comprise comme telle. Heidegger [16] s'est exprimé à ce sujet d'une manière particulièrement claire et Maldiney a magistralement traité le problème du Comprendre dans son article de 1967 [17] pour le reprendre ensuite dans de nombreuses publications : ce n'est pas le lieu d'insister davantage sur ce problème.
Les faits de médecine opposés aux faits de la nature par Hippocrate deviennent pour nous les faits de compréhension opposés aux faits des sciences naturelles. Le Vrai pour Hippocrate, dans tout ce qui a trait à l'homme, c'est le "fait de médecine", pour nous le "fait de compréhension".
Depuis Laennec et surtout Claude Bernard, la médecine est devenue une science de la nature et elle a nécessairement recours à des hypothèses, des modèles, comme l'on dit aujourd'hui. Ce modèle est par excellence l'anatomo-physiologie, qui considère l'être humain comme un organisme, une machine, dont on peut explorer, puis corriger les organes et les fonctions perturbées. Les immenses succès de cette manière d'envisager les choses a transformé et subjugué totalement toute notre manière de penser l'homme. La psychologie allait elle aussi, au XIXe siècle, être emportée par le même courant de pensée, se considérer comme une science naturelle et étudier le psychisme de l'homme comme organisme, comme appareil aux multiples fonctions. Les sciences du langage ont suivi le même chemin : on peut même dire qu'elles ont pris cette voie bien avant la constitution de l'anatomo-physiologie moderne. On récolte dès lors les faits de médecine comme des faits des sciences naturelles, c'est-à-dire dans l'esprit d'une théorie sous-jacente très structurée; les faits de langue sont devenus également des faits analogues à ceux des sciences naturelles, donnés en eux-mêmes, sous-tendus par des mécanismes hypothétiques non vérifiables, pris en dehors de l'entente mutuelle de compréhension, ainsi dans le structuralisme saussurien ou la grammaire générative, ou dans les études sur l'aphasie de Jakobson [18]. Tant l'évolution des sciences humaines que celle de la médecine marquent donc une étape déterminante de la pensée, avec la mise entre parenthèses du ressentir et de la compréhension primaire qui y germe, pour faire place à la compréhension logique théorique. Qu'en est-il alors de la récolte des faits psychiques, faits d'entente mutuelle, de compréhension ?
Le grand maître de la philosophie à Vienne, Franz Brentano, dont Freud allait suivre les cours pendant 6 semestres au début de ses études de médecine, était un homme particulièrement brillant sur le plan de la critique philosophique et très indépendant face aux systèmes institués. Il fut l'instigateur du mouvement phénoménologique, maître de Husserl, inspirateur de Heidegger. Il allait introduire la critique nécessaire de ce problème en tentant d'opérer pour la psychologie une démarche analogue à celle d'Hippocrate. Je traduis :
"Mon école distingue une psychognosie d'une psychologie génétique. L'une indique (weist) tous les derniers constituants psychiques, dont la combinaison donne naissance à la totalité (Gesamtheit) des phénomènes psychiques, [de même que la totalité des mots naît à partir des lettres...] L'autre nous apprend les lois selon lesquelles ces phénomènes apparaissent et disparaissent. Vu la dépendance indéniable des fonctions psychiques, des processus qui se déroulent dans le système nerveux, leurs conditions sont en grande partie de nature physiologique et on voit comment ici les recherches psychologiques doivent s'intriquer dans les recherches physiologiques" (Brentano [19], 1895, S.84; Brentano [20], S. X-XI)".
"La psychognosie est la psychologie pure, alors qu'il ne serait pas impropre d'appeler psychologie physiologique, la psychologie génétique...La psychognosie ne nous apprend rien sur les causes...c'est pourquoi, même à son plus haut degré de développement, elle ne mentionnera, dans toutes ses thèses et propositions, (Lehrsatz) aucun processus physico-chimique..."
"Dans ce sens, la psychognosie est la psychologie pure, et de ce fait, d'essence différente de la psychologie génétique (Remarquons qu'il s'agît d'une hétérogénéité de structures : il ne peut y avoir aucune continuité entre elles)... Les psychologues qui jusqu'ici ne dissocient habituellement pas (radicalement) les questions concernant la psychologie psychognostique de celles qui s'adressent à la psychologie génétique, mais bien plus, les mélangent de diverses manières, agissent en contradiction flagrante des Règles que Descartes a énoncées dans le Discours de la Méthode [21]. Cette grave atteinte à la méthode a contribué d'une manière non négligeable à ralentir les progrès de la psychologie, pour ne pas dire qu'elle les a réduits à néant."
"Ceci ne signifie cependant pas que les connaissances psychogénétiques ne peuvent pas rendre une fois ou l'autre des services aux recherches psychognostiques..., mais les services sont incomparablement plus grand dans l'autre sens" (l.c., S. 6).
Ainsi, pour Brentano, toute description psychologique doit être com-préhensible par tout le monde et absolument séparée de toute notion ayant une connotation explicative, génétique, faute de quoi on tombe dans des définitions circulaires inutiles ; elles sont dangereuses parce qu'elles laissent croire à une connaissance qui n'est que trompeuse et purement fictive; elles tombent dans des explications psychologiques sans rapport avec la réalité immédiatement vécue et ressentie, et elles ne tiennent leur valeur de vérité que dans la conformité au modèle.
Dans son dernier texte, inachevé, "Some elementary lessons" de 1938, Freud écrit, (l.c.) : "La psychologie, elle aussi, est une science de la nature. Que serait-elle donc d'autre ?" Mais son cas est différent, concède-t-il : "Tout le monde ne se risque pas à juger des choses de la physique, mais chacun - le philosophe comme l'homme de la rue - a son opinion sur les questions psychologiques, se conduit comme s'il était au moins un psychologue amateur."Problème extrêmement intéressant, mais qui n'est pas développé.
On ne trouve pas non plus chez Freud d'élaboration explicite du phénomène du comprendre et du "s'entendre ensemble dans un monde commun originaire et dans la langue". Dans sa correspondance avec Binswanger qui vient de paraître en allemand [22], ce dernier l'interroge à ce sujet en 1926 ; je traduis et résume :
Binswanger : "...Je me suis toujours demandé quel était le dispositif mental dont vous parliez et qui permettrait à ce "comprendre" de se réaliser..."
Freud : " J'avais écrit, en effet, que l'on devait saisir (erfassen) l'in-conscient du malade avec son propre inconscient, de la même manière que l'on tiendrait l'oreille inconsciente comme récepteur téléphonique en face de lui...Je ne méconnais pas qu'il se cache dans cette formulation d'autres problèmes plus profonds...mais il ne vaut pas la peine de s'en occuper plus avant."
Cette question allait être à l'origine du développement de la psychiatrie phénoménologique inaugurée par Binswanger, dans son article de la même année et traduit en français : "Apprendre par expérience, comprendre, interpréter en psychanalyse" [23]. Les oeuvres de cet auteur ont été oubliées pendant une longue période ; elles réapparaissent timidement devant l'effondrement d'une pensée psychiatrique proprement humaine, anthropologique au sens vrai du terme, noyée qu'elle est dans des conceptions mécanistes, notamment par la théorie de la communication, les notions de codes, d'interactions, et la méthode des mesures par des grilles et des questionnaires, des classifications, etc... Mais les faits psychologiques, résultat de l'entente compréhensive fondée dans le ressentir, peuvent-ils alors vraiment être considérés comme des faits de sciences naturelles puisqu'ils mettent en cause directement la compréhension mutuelle de deux êtres humains dans un monde commun ?
Deux modes de penser conjoints
Nous voici revenus aux deux modes de penser, penser empirique descriptif, penser génétique, explicatif. Ces deux modes s'affrontent dès la constitution de la médecine et de la philosophie, mais aussi dans l'homme de la civilisation occidentale lui-même, dès qu'il pense et réfléchit. D'essence et de structure différentes, incapables de s'expliquer l'un par l'autre, inconciliables et sans aucune commune mesure, ces modes de penser esthésique et logique sont paradoxalement unis dans la même unité totalisante, l'homme d'abord, en présence de lui-même, mais aussi le médecin en présence de son malade, l'orthophoniste ou la logopédiste en présence de l'enfant qui parle mal.
Cette différence de penser engendre une faille, qu'il s'agît de reconnaître, sans l'escamoter, voire la nier. Elle ne peut être franchie et dépassée que dans un mouvement de transcendance, jamais accompli, qui seul permet la traversée de l'un à l'autre. C'est un moment décisif d'un mouvement imprévisible comme celui du trapéziste qui se lance vers l'autre : il est dangereux parce qu'il peut réussir ou échouer. Ce mouvement est " polémique" en même temps que " lien", au sens primordial d'Héraclite. Nous en faisons l'expérience chaque fois que nous ex - istons authentiquement : nous sentons alors apparaître brusquement cette discontinuité entre la compréhension participative et la réflexion logique, l'interprétation, l'explication ou la prescription. Un bel exemple en est le phénomène du premier mot de l'enfant : soudain, dans un moment originaire échappant à toute mesure temporelle et spatiale, la mère comprend quelque chose, qu'elle aura de la peine à fixer, mais dont elle se rappellera ensuite comme mot.C'est aussi le moment où celui avec qui nous étions en participation dans un monde commun au cours d'une consultation ne s'appréhende plus qu'en représentation, hors de nous, et devient " un cas". Nous ne nous "comprenons" plus, nous sommes dissociés l'un de l'autre, nous sommes désorientés, désorganisés, déprimés et envahis de doute. Nous pouvons aussi faire concrètement l'expérience de ces états vécus, par exemple lorsque nous sommes mis en demeure de transcrire l'enregistrement d'une séance avec un enfant que l'on comprend mal. Cette traversée d'un état à l'autre se fait dans un moment critique et fait surgir une crise. Comme toute crise elle peut prendre fin par un coup d'état, un coup d'état logique, causal, explicatif qui envahit tout. C'est ainsi que nous apparaît l'esprit scientifique actuel, progressant à une vitesse s'accroissant démesurément et sans qu'on puisse en imaginer les limites, ni spatiales (espace universel), ni temporelles (éternelles). La crise peut aussi disparaître par inanition dans une participation totale sans plus aucun mouvement d'existence. De toute manière l'antinomie de ces deux formes de penser nous menace constamment, car l'une d'elles ne peut subjuguer l'autre sans, du même coup, dissocier notre personne et rendre notre existence déficiente. Pour exister d'une manière authentique, l'homme, à plus forte raison le médecin et celui qui veut s'occuper d'un homme malade et surtout de l'enfant malade, est donc mis en demeure d'endurer la crise, crise de la traversée permanente entre le ressenti et le logique, - cette polémique intérieure -, de vivre l'expérience de cette crise et de s'en rendre compte. Exister, c’est endurer ce perpétuel porte-à-faux, sort de l'homme qui, en acceptant ce destin devient maître de sa destinée.Le secret de notre action "thérapeutique" est peut-être dans l'accompagnement - l' "éducation" au sens originaire du terme [24] - de notre malade, c'est-à-dire de "précéder notre malade en le suivant" sur le chemin qui le mènera à sortir d'une existence en échec, pour pouvoir l'assumer d'une manière autonome. Ce qui est aussi inquiétant que d'endurer cette crise, c'est de la voir niée et déniée, ce qui signifie, en d'autres termes, perdre la mesure des choses, signer la ruine, tant d'une existence que d'une civilisation. Je cite Heidegger [25]:
"Le véritable "mouvement" scientifique se joue quand les sciences soumettent leurs concepts de base à une révision plus ou moins radicale et qui ne leur est pas transparente. Jusqu'à quel point elle est capable d'une crise de ses concepts de base, voilà ce qui détermine le niveau d'une science. Quand surviennent de telles crises à l'intérieur des sciences, le rapport qu'entretient le questionnement de la recherche positive (la démarche logique) avec les choses mêmes (leur ressenti) qu'il interroge est ébranlé."
C'est la mise en vue de ces différents moments de cet ébranlement qui nous a permis de suivre notre cheminement remettant systématiquement en question nos observations cliniques.
On doit se demander s'il existe encore aujourd'hui un véritable mouvement scientifique en psychiatrie et dans les sciences du langage : notre inquiétude naîtrait précisément de ne plus percevoir de crise dans l'évolution de la psychiatrie envahie par l'esprit des sciences naturelles. C'est pourquoi nous nous sommes demandés dernièrement à Münsterlingen [26] comment remettre en évidence la dimension esthétique dans l'expérience existentielle en clinique psychiatrique.
La même question se pose dans les sciences du langage et la clinique neuropsychologique ou oto-rhino-laryngologique des troubles du langage: les faits de parole y sont traités comme des faits des sciences naturelles, fixés, isolables, pouvant enfin être soumis à un traitement scientifique, comme le demande Saussure[27] dans son cours en ce qui concerne la langue. Mais n'a-t-on pas totalement oublié que de tels phénomènes ne se manifestent et ne peuvent être notés, que si quelqu'un y participe, les entend et les comprend comme phénomènes de langage dans une langue donnée ? Que ces phénomènes ne peuvent pas être isolés de la totalité de la rencontre entre deux existants au monde et dans un monde commun de mouvement de parole impliquant intimement le monde de la langue ?
Le rapport de l'être au langage
Le deuxième axe de la question de fond à laquelle nous étions confrontés au début de ce texte, c'est le rapport que nous entretenons avec les faits de langage dans, avec et par la langue.
Quand on aborde la description des problèmes cliniques de langage, il paraît difficile de respecter les préceptes rigoureux de Brentano, la séparation entre la description pure et l'explication génétique physiologique : nous risquons donc constamment de ne pas respecter les règles de la Méthode. Pourquoi ? L'analyse de cette situation de fait n'est pas clairement élaborée.
Pour désigner les troubles du langage, la langue commune a retenu des termes divers : bégayer, bredouiller, bafouiller, zézayer ; on connaît "beggen, beggelen"; on savait dans ce pays ce qu'était "un caquiou, un cacayou, un balbot, une baidgèle, une brioule", etc...On s'entend - ou on s'entendait - dans ces mots sans dictionnaire et sans grammaire. Ils sont si proches de leur racine, de leur origine existentielle, ils reprennent à ce point les "mouvements originaires directeurs de sens" (Binswanger [28]), leur sens est à ce point inhérent à leur expression, qu'ils sont immédiatement compréhensibles.
C'est secondairement que le langage scientifique a donné une explication physiologique de ces phénomènes et ceci depuis Aristote. Une connivence s'est installée entre la physiologie moderne et la grammaire pour en faire une explication plus élaborée. Entré dans le champ de la science, le problème de fond n'est plus évoqué et clôturé hors de toute discussion : la neurophysiologie psychologique des fonctions du langage s'exprime en termes de grammaire et la grammaire s'explique par la neuropsychologie : il n'y a plus rien à dire là-dessus [29]. Mais c'est une impasse et elle se fait jour dès qu'on examine les faits de langage comme nous le faisons en clinique en restant "au plus près des choses".
Autre problème : Comment parler du langage et de la langue autrement qu'avec la langue elle-même ? C'est impossible et ceci pose un problème de critique de la méthode très difficile, que nous ne pouvons pas aborder.
La langue a formé et retenu en elle les notions grâce auxquelles elle est devenue capable de se décrire et de s'analyser, de se disséquer et de se donner des règles, autrement dit, elle s'est donné les moyens de sa propre représentation et ceux d'en parler : la lettre, la syllabe, le mot, la phrase...etc. Ce sont tous des termes et des règles de la grammaire. Ce faisant, la langue et les considérations sur la langue par les termes de la langue elle-même se sont empêtrés dans des formes rigides comme dans un réseau de fil de fer, dit Heidegger [30]. C'est seulement quand on retrouve un rapport à la langue au niveau de ses formes originaires que l'on sent ce qu'il y a de mort dans ces formes grammaticales.Mais ces formes grammaticales ne sont pas là de toute éternité et ne sont pas des cadres absolus : elles sont nées d'une interprétation déterminée de la langue grecque et latine, d'une réflexion progressive de la langue sur elle même, interprétation qui est bien loin d'être la même dans d'autres langues. Le début de cette évolution semble se dessiner avec l'écriture alphabétique, la constitution de la langue comme langue à mots et la distinction primordiale entre le simple appel et celui qui appelle, entre "onoma" et "rema" (le rhéteur, celui qui dit). Cette caractéristique et cette qualité de la langue de s'analyser de cette manière, de se mettre au jour, de se dévoiler, semble bien être une propriété de la langue indo-européenne.
Parlant cette langue, nous sommes implicitement liés à sa manière de s'analyser elle-même et, avec elle, nous-même, ainsi que le monde auquel et dans lequel nous sommes avec elle et les autres. A quoi cela nous mène-t-il ?
Il est des époques et des cultures où l’homme parlant est totalement inhérent à la langue qu'il parle et où la distinction entre ces deux termes ("l'homme qui parle" et "la langue qu'il parle") n'a aucun sens. Maldiney cite à ce propos la langue chinoise "toute entière dans la parole, puisque l'unité, c'est la syllabe, mais où la même syllabe est à la fois en position de matière et en position de forme. Toute la phrase doit s'inventer chaque fois qu'on parle...C'est dans la façon de dire que ce que l'on va dire prendra une position de procès ou une position de substrat. L'essence qui fait la phrase, c'est le rythme...Chaque syllabe éveille une série d'intuitions, qui dans l'esprit, sous des formes différentes, éveillent à leur tour le même propos. Mais le début n'est pas le concept, c'est l'intuition. C'est une langue fondée sur la parole, qui est du moment, de l'instant répondant à la situation, qui n'est jamais la même et qui inclut des potentialités."
L'état actuel de notre civilisation permet de dire "parler", parler tout court, "parler une langue" et "parler de la langue" ; quand on dit "penser", c'est toujours "penser quelque chose " et dire, c'est toujours "dire quelque chose" et "quelque chose qu'on a pensé": nous exprimons par là, grâce à la langue, un certain rapport à la langue et à la représentation qui s'en donne. Ces rapports sont inscrits dans la langue. Toutes ces distinctions qui font l'objet de nombreuses réflexions, comme par exemple la distinction entre langage et pensée, n'ont aucun sens à d'autres époques et dans d'autres cultures [31].
Dans la mentalité grecque archaïque, penser c'est à la fois une certaine manière d'être au monde, de sentir, de vivre l'articulation mélodique de son corps dans l'harmonie de sa tenue et de sa parole, dans un espace non distinguable du monde des sons, dont l'articulation tonale se réalise dans le chant. Le chant est inséparable de la parole, jusque dans l'équivalence des différents sons avec les lettres de l'alphabet. La sonorité du mot et ses accents sont en même temps "l'idée" et elle leur donne son nom. Chaque mélodie, comme chaque pensée est ainsi inhérente à une tonalité donnée, empreinte d'une certaine qualité de sentiment et d'humeur ; elle dégage une atmosphère particulière (Lohmann [32]). Pour Lohmann [33], le rapport de l'homme au langage qu'exprime la langue grecque archaïque est donc un rapport d'inhérence la plus immédiate, la plus intime, de la pensée au discours et à celui qui le profère dans l'harmonie de l'articulation de son corps: cette unité s'exprime dans une participation ressentie à un monde commun aux interlocuteurs, qui éprouvent ensemble la parole de l'intérieur, dont les sens sont incarnés dans les sons."
Cependant, étant alphabétique, cette langue archaïque grecque contient dès le début la propriété de se rendre autonome par rapport à celui qui la parle : elle manifeste ainsi une disposition objective ( Lohmann [34]). Ce mouvement vers l'objectif va se faire dans et par la langue elle-même, en dehors et avant toute réflexion humaine philosophique ou grammaticale. C'est même le contraire qui se passe : c'est parce que la langue s'est autonomisée que la réflexion philosophique sur la langue a pu se faire. Cet autonomisation repose sur l'institution du rapport sujet-objet, qui s'exprime dans la formule "le sujet parle une langue"; c'est la réalisation de la distinctiond'un sujet, d'un objet et d'un rapport entre eux, le premier objet étant la langue elle-même: ceci ne serait pas possible si la langue n'avait pas intégré dans ses racines la voyelle, qui dans les langues syllabiques est laissé à la libre disposition du locuteur; c'est celui-ci, par les voyelles qu'il prononce sans qu'elles soient fixées dans la langue, qui garde la liberté dedéterminer le sens qu'il veut donner au mot quand il parle, alors que dans une langue alphabétique la signification est entièrement portée par le mot de la langue. Cette création de l'objet totalement séparé du locuteur permet la constitution de la science et une réflexion sur la langue elle-même, qui aboutira à la grammaire. C'est aussi la prédication, c'est-à-dire la possibilité de dire quelque chose sur quelque chose en tant que quelque chose, avec simultanément son corollaire inséparable, la possibilité de nier ce qui est affirmé. Cette potentialité de développement est bien une propriété de la langue indo-européenne elle-même : elle se manifeste par son organisation en une langue à mots, composé d'un radical, (où l'intégration des voyelles permet sa thématisation) et d'une flexion, c'est-à-dire la séparation entre le thématique et l'opératif. La langue en devenant autonome retient en elle des fonctions et des marques dont l'expression est dévolue au locuteur dans d'autres langues. On peut suivre l'évolution de la langue jusqu'au stade de sa propre "réflexion effective", de sa mise au jour, de son " illatence " qui est le moment où la langue parvient à un rapport avec elle-même thématisée comme objet. Elle est alors entièrement séparée de celui qui la parle. Les sons de la langue deviennent isolables, hors de celui qui les prononce, désincarnés de leur sens et ne peuvent être reliés à la pensée et aux sentiments que dans une relation extérieure, codée, arbitraire, conventionnelle. Elle tend à devenir une structure logique entièrement formalisée, dont la grammaire antique était la première étape. Le rapport de l'homme avec son langage devient purement extérieur et le sujet, totalement autonome, devient insensible à la dimension génétique et historiquement vécue de ce rapport, insensible du même coup au mouvement génétique de sa propre parole à partir des directions de sens fondamentales s'exprimant dans les racines de la langue, insensible encore au mouvement étymologique de ses expressions verbales. "Dès ce moment-là, la langue, dit Maldiney [35], n'est plus guère faite pour dire l'existence et la part de la parole fixée dans la langue devient de plus en plus large."
Cette évolution n'a trouvé son achèvement qu'au XVIIIe siècle, qui est celui des Lumières, où est né l'esprit scientifique moderne occidental, avec tout ce que nous en avons dit tout à l'heure. Cet esprit subjugue toutes les autres formes de penser. Mais nous ne sommes pas toute la journée dans un rapport entièrement objectif et scientifique par rapport à la langue, à l'autre, aux autres et au monde. Ce rapport se modèle au gré des rencontres et des situations, mais essentiellement dans les différents états d'humeur.
La psychiatrie clinique s'est faite sur le modèle de la constitution de la science occidentale, reposant sur le rapport sujet-objet, dans une langue ayant accompli sa propre objectivation et parvenue à sa réflexion effective. Quand nous étudions le premier langage enfantin ou les troubles du langage, chez l'enfant et chez l'adulte, nous avons affaire à un rapport du sujet‑parlant à sa langue qui n'est pas le nôtre quand nous l'observons : un aphasique ne peut pas parler de ses troubles du langage ; il les ressent éventuellement, mais il ne peut pas les objectiver, ni les expliciter, de même l'enfant. Nos malades présentant un problème de langage, soit n'ont pas encore accompli dans leur parole cette genèse de la langue aboutissant à sa réflexion effective, soit n'ont pas pu l'accomplir, soit n'ont pas pu s'y maintenir (ainsi en est-il dans l'impossibilité de l'élaboration de la pensée explicite): la question est ouverte de savoir ce que nous faisons quand nous décrivons, à partir de notre rapport actuel à la langue, des phénomènes qui se passent dans un autre mode d'être que le nôtre dans la langue, dans la parole. Une question de même ordre se pose dans la description de phénomènes psychiques dans des ethnies de langues différentes de la nôtre. Mais alors, peut-on parler de troubles du langage dans les termes où on le fait habituellement ?
En conclusion
Comment aborder l'étude des troubles du langage sans tomber dans les écueils que nous avons soulevés ? Comment aussi aborder la constitution de la clinique psychopathologique à partir de la parole des malades, en ne se contentant pas de considérer seulement le sens que nous saisissons dans leur discours, mais aussi les propriétés de leur parole? L'état de réflexion effective ou de non réflexion de leur parole et le rapport qu'ils entretiennent avec la langue, bref, en maintenant ouvert et présent la polémique fondamentale entre la compréhension primaire, esthésique et la compréhension logique ? Ce n'est...pas facile, pas facile du tout ! Au cours d'une telle démarche, une chose apparaît avec toujours plus d'évidence, c'est qu'il faut chercher à resituer perpétuellement la parole dans la dimension dynamique et mouvante du rapport de l'homme à sa langue et en fonction de l'état de réflexion effective qu'atteint la langue qu'il parle et au moment où il la parle. Cette étude ne peut se faire que dans un mouvement de parole absolument spontanée, dans un dialogue ouvert authentique où nous gardons avec notre interlocuteur la possibilité d'être mutuellement surpris dans l'expression à laquelle nous participons, c'est-à-dire en nous gardant d'appliquer un modèle préalable à notre questionnement et à nos observations immédiates.
[1] Christe, R. et Bernel, I., Rapport préliminaire sur les besoins de la population du Jura du point de vue de la psychiatrie d'enfants, Bulletin de l'ADIJ, Nos 12/1960 et 1/1961
[2] Le Service médico-psychologique du Jura a été créé par un Arrêté du Grand Conseil bernois du 16 février 1960. Il regroupait sous une seule direction indépendante les consultations ambulatoires données jusqu'alors par les médecins de la "Maison de Santé" de Bellelay (devenue plus tard "Clinique psychiatrique") pour les adultes et les enfants. Ce service avait des bureaux de consultations à Porrentruy, Delémont, Moutier, Tavannes et Bienne (pour les enfants seulement). Il a été dissous et ses collaborateurs licenciés à la fin 1978, avec l'entrée en souveraineté du Canton du Jura. Il a été remplacé dans le Canton du Jura par le "Centre médico-psychologique" (avec deux services indépendants, l'un pour les adultes, l'autre pour les enfants et les adolescents) et dans le Canton de Berne par le "Centre psychiatrique du Jura bernois" pour les adultes et le "Centre médico-psychologique" pour les enfants et adolescents. Pour plus de détails sur cette période de la psychiatre dans le Jura, voir Christe, R., "Le Service médico-psychologique du Jura 1960-1978, expériences et problèmes" (à paraître)
[3] Un des premiers travaux sur le traitement par les nouveaux antidépresseurs des dépressions chez l'enfant a été fait au Service médico-psychologique : Christe, P., Contribution à l'étude des dépressions chez l'enfant et de leur traitement à l'imipramine, Ann. paediat. 206, 47-83 (1966)
[4] Ce cheminement nous a conduit à organiser au Service médico-psychologique une formation universitaire de logopédie clinique, partant de bases cliniques concrètes, différentes de celles des formations qui existaient alors. Cette formation a débuté en 1969, avec le rattachement du Service médico-psychologique du Jura comme section de formation en "Logopédie clinique" à la Faculté de médecine de l'Université de Berne. Ceci nous a permis de réunir au Jura un collège de professeurs pluridisciplinaire important, la plupart venant de l'étranger, que nous avons pu intégrer dans notre activité clinique et avec qui nous avons développé une réflexion approfondie sur les problèmes de langage en clinique psychiatrique. Lors de la suppression du Service médico-psychologique du Jura en 1978, la formation en logopédie clinique a été transférée à la faculté de médecine de Berne, avec la création d'une "Division de logopédie clinique". Un des "Accords particuliers" du 21.12.78 concernant la logopédie clinique entre le nouveau canton et le canton de Berne instituait une collaboration avec le nouveau "Centre médico-psychologique de la République et Canton du Jura", indispensable à la formation clinique des logopédistes de langue française. Cet accord fut le premier à être dénoncé par les Autorités jurassiennes le 26 février 1979, quelques semaines après l'entrée en souveraineté du nouveau Canton. Cette formation s'est poursuivie à Berne jusqu'en 1986 et a été dissoute à la retraite de son médecin-chef, le soussigné. Nos recherches continuent actuellement dans le cadre de notre consultation privée, autofinancées et sans relation avec des institutions officielles, mais en collaboration avec nos collègues de l'extérieur. (voir Robert Christe, La formation en logopédie clinique au Service médico-psychologique du Jura et à la faculté de médecine de Berne de 1969 à 1986, à paraître)
[5] Bergson, H., Oeuvres, Edition du centenaire, Matière et mémoire (1896), p.268, PUF (1970)
[6] Goldstein, K., Language and Language disturbances, Grune et Stratton, p.93 (1948) (voir aussi ses travaux antérieurs de 1906 à 1912, précédant les travaux psychanalytiques de Freud, dans lesquels il persiste dans sa théorie du langage)
[7] Ombredane, A., L'aphasie et l'élaboration de la pensée explicite, PUF, (1951) p.107 sqq
[8]Husserl, E., Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie; Erstes Buch: Allgemeine Einführung in die reine Phänomenologie, S.41,Gesammelte Schriften 5, Felix Meiner Verlag, Hamburg (1992)(Texte de 1930)
[9] Ces problèmes sont traités plus à fond dans Christe, R., Christe Luterbacher, M.‑M. et Luquet, P.,La parole troublée, Cahier de Porrentruy No1, PUF (1987)
[10] Martianus Capella and the seven liberal arts, Volume II: The marriage of philology and Mercury,translated by W. H. Stahl and R. Johnson, Colombia University Press, New York (1977);(Voir aussi l'édition de Teubner, 1866; pas d'édition française récente)
[11] Mâle, E., L'art religieux au XIIIe siècle en France; Etude de l'iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d'inspiration. Livre II: Le miroir de la science, p.76 sqq, Armand Colin (1958)
[12] Hippocrate, Tome II, 1ère partie, trad. J. Jouanna, Ed. Les Belles Lettres, Paris (1990)
[13] Christe Luterbacher, M.-M. et Christe, R., Suivre la parole en clinique psychiatrique, in Décade de Cerisy, septembre 1989: Psychiatrie et existence, Jérôme Millon (1991)
[14]Freud, S., Some elementary lessons in Psycho-analysis,GW XVII, p.141-147
[15]Hönigswald, R., Philosophie und psychiatrie, Archiv für Psychiatrie, Bd 87, S.715-741 (1929)
[16]Heidegger, M., Unterwegs zur Sprache, Neske, Pfüllingen (1959), trad. française: Acheminement vers la parole, Tel, Gallimard (1976)
[17]Maldiney, H., in Regard,Parole, Espace, L'Age d'Homme, Lausanne (1973)
[18] Jackobson, R., Langage enfantin et aphasie, Ed. de Minuit (1969)
[19] Brentano, F.,Meine letzten Wünsche für Oesterreich, Cotta, Stuttgart (1895.)
[20]Brentano, F., Deskriptive Psychologie, Meiner Verlag, Hamburg (1982.)
[21] Rappelons ces "préceptes"dans la Seconde partie du Discours de la Méthode,:
"...Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées : ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés : et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre."
[22]Sigmund Freud, Ludwig Binswanger, Briefwechsel 1908-1938, S. Fischer Verlag (1992), lettres 147 B et 148 F
[23] Binswanger, L., Discours, parcours et Freud, suite d'articles traduits par Lewinter, R., et Fedida, P., Gallimard, Connaissance de l'inconscient (1970)
[24] Christe, R.,Le pédopsychiatre entre parole et loi, Actes de la Société jurassienne d'émulation (1989)
[25]Heidegger, M., Sein und Zeit, Niemeyer Verlag, Tübingen (1979); trad. française Gallimard (1986), p.33
[26] Colloque sur le thème: "Contribution de Roland Kuhn à la mise en évidence de la dimension esthétique dans l'expérience phénoménologique existentielle en psychiatrie clinique" (1992) (à paraître)
[27] Saussure, F. de, Cours de linguistique générale, notamment chapitre III, Payot (1973)
[28] Binswanger, L., Introduction à l'analyse existentielle, suite de conférences et d'articles, traduits par R. Kuhn et J. Verdeaux, avec une introduction de R. Kuhn et H. Maldiney, Edition de Minuit (1971). Voir notamment "Rêve et existence", 1930
[29] Analyse critique de ce problème dans "Christe, R., Connaître la parole troublée: les impasses du savoir" in "La parole troublée", PUF (1987)
[30] Heidegger, M., Introduction à la métaphysique, trad. française, Gallimard (1967), p.64
[31] Christe, R., La parole troublée: fait de compréhension et fait de culture, in Décade de Cerisy, juillet 1992: Psychanalyse, psychiatrie et ethnologie; défit culturel et défit thérapeutique (à paraître)
[32] Lohmann, Johannes: Musiké und Logos, Musikwissenschaftliche Verlag, Stuttgart (1970) p.6-7.
[33] Lohmann, J., Le rapport de l'homme occidental au langage (Conscience et forme inconsciente du discours), trad. française par M. Legrand et J. Schotte, Rev. philosophique de Louvain, 72 (1974) p.721-765
[34] Lohmann, Johannes: Philosophie und Sprachwissenschaft, Dunker & Humblot, Berlin (1975)
[35] Maldiney, H., L'existant, in Décade de Cerisy septembre 1989, Psychiatrie et existence, p.25, Jérôme Millon (1991)
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